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Leur souffle, un film où le spectateur ne s’oublie pas
Leur souffle, un film où le spectateur ne s’oublie pas
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| Aleteia 1314 mots

Leur souffle, un film où le spectateur ne s’oublie pas

Ivan Marchika revient pour Aleteia sur la préparation de son documentaire sur les bénédictines de Jouques, « Leur souffle », sorti le 27 mars au cinéma.

Ce temps de réflexion a été mené conjointement avec Cécile Besnault, l’initiatrice du projet, autour du mystère de la vocation religieuse sur les terres de Cézanne.

Le sujet du film « Leur souffle » est assez rare au cinéma. Et pour cause, il n’est pas aisé de pénétrer dans la vie de moniales, ni de la saisir dans sa plus pure intensité. À l’initiative de ce long-métrage, la réalisatrice Cécile Besnault a, depuis, répondu à l’appel de la vie religieuse. Mais avant cela, elle a embarqué son confrère Ivan Marchika avec elle. Comme bien d’autres, il ne croit pas en Dieu. Et c’est à eux que Cécile souhaite s’adresser. Dans un dialogue perpétuel de leurs deux points de vue, ils sont alors partis explorer le mystère d’un lieu aussi insolite qu’un monastère de religieuses cloîtrées, celui de Jouques, dans la vallée de la Durance (Bouches-du-Rhône).

Aleteia : En tant que cinéaste, quelles étaient vos premières impressions en arrivant sur les lieux ?
Ivan Marchika : Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, ayant peur d’être un éléphant arrivant dans un magasin de porcelaine. J’ai été frappé par la chaleur de leur accueil, leur gentillesse, leur fraternité, entre elles, tout d’abord, mais aussi vis-à-vis de l’extérieur. C’est très particulier dans le monde moderne. Je suis maintenant très heureux d’être ami avec cette communauté. Quand je les voyais en activité, je sentais bien la différence avec tout ce que j’avais pu voir avant. J’ai compris qu’elles avaient une façon d’être tout entières dans ce qu’elles faisaient, une façon vraiment pure. Il y a une force qui se dégage de cet engagement dans la moindre tâche, même secondaire. Pour elles, aucun travail n’est ingrat, elles offrent tout dans leur prière.

Selon vous, sont-elles les seules à pouvoir vivre autant dans l’instant, ce qui est frappant dans le film, même si elles sont hors du monde ?
Leur vie prend du sens aussi à travers l’existence de Dieu et leur rapport au temps. C’est une façon d’honorer la Création, en essayant de bien prendre sa place dans le cours du monde, dans la moindre des tâches que l’on remplit. Dans un monde qui serait dépourvu de Dieu, avec des personnes qui luttent avec l’existence, l’angoisse et la mort, on pourrait se demander l’utilité de plonger à ce point dans une activité. On pense à gagner sa vie, à réaliser la tâche suivante avant d’aller se coucher. Mais dans une communauté comme celle-là, là où beaucoup voient des difficultés et de l’imperfection, se trouve une grande profondeur et une grande beauté dans la moindre tâche du quotidien. Cela participe d’un tout qui existe, qui dépasse notre simple rapport individuel à cette tâche.

Le documentaire est un peu comme une mini-retraite, mais sans la démarche qui la précède pour y entrer. Dans quelles dispositions le spectateur doit-il aborder le film?
Le film peut vraiment aboutir seulement si le spectateur a fait un peu de cette démarche. La grande difficulté du film est l’absence de personnage principal à l’écran. C’est une proposition de dialogue entre nos regards de cinéastes et le spectateur, qui doit l’actualiser en se positionnant face à la communauté. Le spectateur doit y être parfaitement présent. Cécile a essayé de me faire assister à des messes, et moi qui suis très matérialiste, je ne percevai rien. Il était difficile pour moi d’accéder à ce qu’elle visait pour le film. La voix-off de Cécile, au début, quand elle évoque l’importance de croire à la musique des coquillages pour réussir à l’entendre, permet de mieux comprendre son intention D’ailleurs, si le film est parfois inconfortable et difficile, il invite à entrer véritablement en dialogue avec la vie assez brute des religieuses. Nous avons voulu prendre le contrepied de la fiction, qui permet bien de captiver davantage et de transporter à travers une histoire.

Dans ce film, les religieuses ne sont jamais dans la fuite, obligeant le spectateur à la même disposition. Cependant, la détresse est évoquée à travers les psaumes, qui scandent le film. Selon vous, cette manière de vivre serait-elle une réponse à l’angoisse?
Pour Cécile oui, complètement. Pour moi, non, car je suis toujours dans l’angoisse. Au sujet des psaumes, que je découvrais contrairement à elle, j’ai été très moteur dans leur choix, car malgré leur ancienneté ils me paraissaient très denses, faisant écho aux questions universelles de l’angoisse face à l’existence. Cécile proposait de son côté une progression dans les textes, avec la proposition de se tourner vers Dieu comme réponse à toutes ces interrogations humaines, et ce sans être un saint, un roi ou une religieuse. Tout le monde est capable de ce mouvement vers Dieu. Pour cette raison, le film est construit sur cette respiration des psaumes.

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Leur souffle.

Le rythme monastique est très ancré dans le matériel mais aussi dans la répétition des choses, comme le rythme du monde. Mais à sa différence, la prière y est inscrite. Comment saisir ce qui porte les religieuses?
C’est très mystérieux la prière. Cécile avait du mal à répondre à cette question, à expliquer sa joie et son besoin de prier. Elle l’a fait à travers ce film, avant de se taire à jamais au Carmel de Lourdes. Le but du film était que le documentaire poursuive son existence à travers le spectateur. La question qui se pose à la fin du film devrait être : « Quelles que soient vos réponses et quelles qu’en soient les nuances, quel est votre positionnement par rapport à ces religieuses et comment continuez-vous à aborder la vie ? » À la sortie du film, certains spectateurs athées m’ont dit ne pas penser pouvoir vivre leur vie quotidienne de la même façon. L’un d’eux souhaitait y chercher davantage d’intensité, même dans les tâches les plus triviales. L’enjeu n’était donc pas de faire une histoire sur Cécile, pour rassurer le spectateur et lui dire : « Ne t’inquiète pas, ce n’est pas ton histoire, mais tu peux être ému par celle de la réalisatrice ». Plutôt que chacun reparte avec sa propre expérience vis-à-vis de sa confrontation avec la communauté. Cécile ne voulait pas choisir la facilité et préserver cette proposition difficile certes, mais plus vraie.

À travers les plans longs, le silence, la lenteur, nous sommes confrontés à un vide, puis à notre propre solitude face à l’existence. Peut-être est-ce à partir de là qu’on peut se poser la question de Dieu ? 
Tout à fait, c’est pour cette raison qu’il était important pour nous que le spectateur ne s’oublie pas. À l’heure du divertissement généralisé, il est théorisé que lorsqu’on fait un film qu’on veuille à succès, il faut trouver des moyens pour que le spectateur s’oublie, qu’il oublie les personnes qu’il aime pour aimer celles qui sont à l’écran, éprouvant alors des ersatz de sentiments. Nous avons voulu une forme de cinéma qui propose une confrontation à soi, presque douloureuse, plutôt qu’un cinéma de l’oubli de soi.

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Vous étiez à la caméra, comment avez-vous abordé la manière de filmer les religieuses et de penser les plans ? 
L’image était un enjeu majeur du film car Cécile voulait qu’il y ait la possibilité d’y voir la présence divine. Nous voulions mettre en dialogue les religieuses avec ce qu’on ne peut pas déterminer, qui est le problème de la représentation de Dieu. La place de la lumière dans l’image était donc très importante, symbole d’un personnage vibrant, enveloppant, dans la manière de les toucher et d’accompagner leur souffle. Comme c’est par la lumière que l’on voit, la manière dont nous apparaît un visage est en rapport avec son emplacement vis-à-vis de la lumière. Notre volonté était de montrer que le visage n’est pas beau ou concentré seul, mais dans sa relation à la lumière, à Dieu, qui le rend accessible et beau.

« Leur souffle », de Cécile Besnault et Ivan Marchika, 2h, actuellement en salle.

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